|
|
|
|
|
Les catholiques ivoiriens et leurs pasteurs
26/07/2013 20:01
Les catholiques ivoiriens et leurs pasteurs
Les ivoiriens finiront-ils jamais de digérer « la guerre de la France contre la côte d’Ivoire » ? Rien n’est moins sûr si les choses restent en l’état. Visiblement assommés, ils en ont gros sur le cœur. Parmi eux, les chrétiens cathodiques sont encore indignés de l’attitude de leurs premiers pasteurs : les évêques. Ils ne comprennent pas leur attitude et surtout la confusion qu’ils entretiennent dans leurs propos face au drame que continuent de vivre les Ivoiriens depuis l’intrusion dramatiques des armes dans leur vie politique par ceux qui les dirigent et les narguent aujourd’hui. Après la réaction de MFE que je vous ai partagée il y a deux semaines, j’ai reçu une autre cette semaine que je vous propose : « Bonjour mon père. Je suis un chrétien catholique de Côte d'Ivoire très engagé dans ma paroisse au niveau de la catéchèse dans la pastorale des adultes. Je suis aussi un de vos fidèles lecteurs dans le journal Notre Voie. J’apprécie vos analyses et "prises de position". Mon père, ce qui me chagrine et m'amène à vous déranger, c'est la déclaration des évêques catholiques de Côte d'Ivoire après leur dernière conférence, déclaration dans laquelle ils demandent pardon aux fidèles catholiques après leurs diverses prises de position dans la crise post-électorale sans toutefois nous préciser l'objet exact de leur divergence, et la position autour de laquelle il y a eu un consensus à leur niveau. La question fondamentale étant pour beaucoup de chrétiens après «le coup d’état" de la communauté dite internationale, qui avait effectivement gagné ces élections ? Ils nous exhortent au pardon et à la réconciliation dans ce flou, dans la compromission. Les lois ivoiriennes, pour nosseigneurs les évêques, n'existent-elles pas ? Que faisons-nous de notre loi fondamentale pour nos évêques? Le maître a dit "La vérité vous rendra libre". Mon père, pourquoi il n'y a toujours pas cette position courageuse de leur part ? Car, considérant notre loi fondamentale, pour moi, c'est Laurent Gbagbo le vainqueur de cette élection. La loi peut être mauvaise mais son application et son respect pouvaient nous éviter ces morts que nous pleurons aujourd'hui. Alors mon père, je souhaitais poser la question au président de la conférence épiscopale de Côte d’Ivoire afin d'avoir une réponse mais dans les colonnes d'un journal de la place qui voudra bien m'offrir une lucarne. Comment jugez-vous ma démarche et en quels termes dois-je faire cela pour interpeler les fidèles et les évêques catholiques de Côte d'ivoire ? Je m'appelle T. D. (la conscience troublée). Merci mon père de me répondre pour me soulager. Dieu vous bénisse et vous protège, à bientôt et excusez- moi, l'abbé pour ma démarche ! » Quand j’ai essayé de lui faire comprendre, pour l’ « apaiser » que ces questions sont délicates et que je ne vois pas un évêque qui puisse le soulager, et quand j’ai aussi essayé de le convaincre de ne plus avoir « la conscience troublée », mais plutôt la conscience en éveil et de prendre sa part à la libération de notre pays qui doit nous mobiliser tous, que chacun doit y jouer sa partition, que nous devons laisser les évêques jouer la leur s’ils pensent que la voie qu’ils ont prise est la bonne pour le salut de leurs fidèles que nous sommes, il m’a répondu : « Bonjour mon père,
je suis vraiment heureux que ayez pris du temps pour cette lettre. Je vous en remercie infiniment. Mais mon père, comme vous le savez, notre mère Eglise a une place prépondérante dans notre société. Une position courageuse de la conférence des évêques catholiques dans le sens de la vérité ferait que nos autorités actuelles seraient moins arrogantes, la population serait de moins en moins bafouée dans son honneur, et retrouverait sa dignité. Mais bref, l’Évêque de Douala avait vraiment raison quand il les accusait de dire la vérité dans les couloirs des paroisses, mais n'avaient pas assez de courage pour dénoncer l'imposture. Oui, mon père, partager cette inquiétude dans votre rubrique, serait déjà un début de solution, sait-on jamais, cette interpellation fouetterait leur orgueil!
Mon père, un autre sujet: Le silence de l’Église sur l'accident mortel du nonce Apostolique, même pas une enquête réclamée, comment cela peut être possible? Un grand diplomate qui meurt dans une situation trouble. Nos pères les évêques ont- ils vendu leur âme au pouvoir? » Jamais les catholiques ivoiriens n’ont été aussi bavards et exigeants sur l’attitude de leurs pasteurs que nous sommes. Il est clair que nous leur devons encore beaucoup d’explications et de témoignages sur les événements qu’a vécus notre pays et qu’il continue encore malheureusement de vivre. Ce qu’ils nous demandent c’est le courage face à l’autorité qui s’exprime de plus en plus par la violence et la dictature. Beaucoup ne comprennent pas que notre Eglise qui était respectée et même crainte pour ses prises de positions courageuses ne compte plus pour rien aujourd’hui dans le débat politique et social qui travaille les Ivoiriens de fond en comble. D’où la question légitime de ce lecteur : « Nos évêques ont-ils réellement vendu leur âme aux autorités politiques actuelles ? » Il est vrai qu’on ne peut pas forcer l’Esprit Saint à parler dans la bouche de nos évêques. Mais tout de même nous osons encore croire que cet Esprit les inspire dans leur méditation, leurs écrits, leur pastoral et leurs homélies. Les chrétiens catholiques Ivoiriens veulent que leurs évêques qu’ils reconnaissent encore, heureusement, comme leurs chefs, leurs pasteurs et leurs premières autorités morales et spirituelles parlent pour qu’ils guérissent ; « Mais dis seulement une parole et je serai guéri », disent-ils chaque dimanche à la messe avant la communion. Ils veulent qu’ils parlent, mais pas n’importe quelle parole ; une parole qui est en lien étroit avec ce qu’ils vivent au quotidien, une parole de l’Evangile par laquelle ils pourront donner un sens et une orientation précise et courageuse à leur vie d’aujourd’hui de plus en plus menacée. De plus en plus, nos fidèles comprennent que leurs pasteurs que nous sommes ne jouent pas franc jeu avec eux, mais surtout avec l’Evangile dont nous sommes pourtant les serviteurs. Sur tous les plans ils nous soupçonnent de tricher avec nos engagements vis-à-vis de Dieu, de l’Eglise et de la société. Ils aiment écouter ceux qui se montrent un peu courageux en dénonçant les injustices et en renonçant aux conforts mondains. Ils répugnent au contraire, et à raison, ceux qui n’ont aucune parole à dire face à leur misère dont ils connaissent les causes. Par leurs actes, nous comprenons que la crédibilité de l’Evangile et de l’Eglise se joue aujourd’hui dans notre pays pris dans la tourmente de la dictature et de la néo-colonisation brutale et excessivement violente. La question que l’attitude des fidèles provoque en nous est de savoir l’importance de la Parole de Dieu et de l’Eglise au milieu d’un peuple dominé, maltraité, pillé et affamé. Jamais la compréhension de l’Evangile et sa mise en pratique n’ont été aussi mises à rude épreuve ces dernières années dans notre pays. Jamais aussi l’attitude du clergé ivoirien n’a été autant suspectée et sujette à caution. Dans les premiers moments de la post crise électorale, un confrère d’Abidjan m’a invité à écouter ses fidèles qu’il voulait libérer du traumatisme de la guerre qu’il venait de vivre. L’exercice était d’écouter patiemment le fidèle et tenter de lui redonner le moral à partir de l’Evangile. Ce que j’ai entendu était terrible. On sent une haine sourde à l’intérieur de chacun. Tous vouaient aux gémonies leurs pasteurs que nous sommes pour notre duplicité et notre manque de courage.
| |
|
|
|
|
|
|
|
Ouattara et son nord
20/07/2013 01:20
Ouattara et son nord
La visite était très attendue. Les caméras et micros du pays ont été une fois encore réquisitionnés pour la circonstance. Le frère devrait retourner chez lui en famille, au bercail, sur les traces de ses ancêtres. Même transformée pour les besoins de la cause en « visite d’Etat », donc en « visite officielle », elle n’a pas échappé au rituel familial et clanique d’accueil. Le fils était bel et bien « chez lui » à la maison et en famille. Tout le clan était mobilisé. En décidant de rentrer chez lui au nord deux ans après les bombes démocratiques et sarkoziennes qui l’ont porté violemment au pouvoir à Abidjan, notre président a bien voulu rendre un hommage très appuyé à ses parents qui l’ont soutenu de bout en bout, même aveuglement dans la conquête du pouvoir d’Etat situé au sud. D’ailleurs, ces parents qui ont tout donné- enfants, sang, vie, or, argent, temps- pour le faire roi, n’attendaient que ce « retour de l’enfant soldat » ou plutôt de l’enfant prodige pour lui manifester de nouveau et assez bruyamment leur indéfectible soutien pour « l’injustice » qu’il aurait combattue en chassant du pouvoir du sud le « méchant Gbagbo », lui qui a fait tant de torts au nord et à son digne fils sorti des cuisses de Jupiter et mondialement reconnu. Moi qui depuis le malheureux 11 avril 2011 boude les « activités » et les nombreux voyages de notre président, j’ai compris pourtant que l’entrée du chef qui s’est accaparé du pouvoir du Sud a été très triomphale et même très triomphante. Personne ne pouvait raisonnablement s’en douter. D’ailleurs, comment cela aurait-il été autrement sur un territoire conquis et acquis à sa grande et juste cause ? Cependant, cela a remué fortement en moi quelques préoccupations : serions-nous en train de « perdre le nord » ? Le nord serait-il désormais absolument et irréversiblement acquis à la cause de ses fils qui lorgnent le pouvoir d’Abidjan ? Le nord ne serait-il pas en train, petit à petit, de semer les germes de la dislocation dramatique future du pays ? Les fils du nord ne seraient-ils pas en train, peut-être à leur corps défendant, de favoriser le schisme national ? Ne seraient-ils pas en train de vouloir conquérir pour le dominer, tout le pays par les armes en faisant descendre en grand nombre leurs chasseurs traditionnels dans les fins fonds du pays et en installant les leurs à la tête de l’armée? Ce sont des questions que tout observateur sérieux et averti de la vie politique et sociale de notre pays doit légitimement se poser. Et les propos tenus par notre président dans son nord ne font qu’accroître nos inquiétudes à la fois existentielles et mortelles. En effet, le discours du nord prononcé par Ouattara n’a aucune ambition nationaliste. Au contraire, il est un discours de vainqueur qui encourage chaque région à faire sa guerre de libération et de dignité et pourquoi pas de…cessation. Si hier le nord a fait la guerre aux autres régions du pays pour avoir sa carte d’identité, rien ne dit que le sud ne fera pas la guerre aux autres régions pour revendiquer ses terres annexées et en voie de disparition ou que l’ouest n’ira pas en guerre pour reconquérir ses forêts envahies et confisquées par les étrangers. Tout est une question de logique de survie. On ne se laisse pas mourir. Chaque région de notre pays peut avoir de bonnes raisons de créer et d’avoir son « Soro Guillaume ». En félicitant publiquement comme il le fait très souvent son chef de guerre, Ouattara met volontairement en mal l’unité et la cohésion nationales déjà très entamées et fébriles à cause des armes qu’il a introduites dans la politique de notre pays. Il met aussi en selle tous ces jeunes qui ne manquent pas d’ambition démesurée comme son poulain. Ce discours prend à contre pied le brumeux processus de réconciliation dans lequel tant de milliards sont pourtant engloutis pour de piètres résultats. Quand nos hommes au pouvoir comprendront que la logique guerrière est toujours suicidaire, ils auront fait un grand pas vers la sagesse. Qu’ils se tiennent pour dit : la victoire des armes est toujours éphémère.
Il a aussi été question de « développement du nord ». La pierre a été méchamment jetée à ceux de nos anciens gouvernants qui auraient abandonné le nord au profit des autres régions qui sont les leurs. On ne peut pas connaître la Côte d’Ivoire et accepté de tels mensonges inventés pour remplir la gamelle qu’on promène dans le monde entier. Si le « développement du nord » intéresse réellement notre président, pourquoi avoir attendu si longtemps après son intrusion au palais présidentiel pour offrir une « visite officielle » à son nord chéri ? Le nord est aujourd’hui pris en otage. A la place de son « développement », ce sont plutôt des prisonniers politiques qu’on lui offre en récompense du soutien au fils prodige. Si à la fin des nombreux mandats présidentiels des fils du nord qui s’annoncent la tendance des mouvements des peuples de notre pays s’inverse au profit du nord, je comprendrai alors que ceux qui ont gouverné avant eux lui ont fait du tort. Mais je ne rêve pas. Ce sont des discours qui seront toujours servis au nord pour constituer le bétail électoral qui est en fait le vrai rôle qu’on veut lui faire jouer aujourd’hui dans la vie politique de notre pays.
| |
|
|
|
|
|
|
|
Le silence de l'Eglise de Côte d'Ivoire
12/07/2013 11:38
« Le silence de l’Eglise catholique »
La réflexion de ce weekend m’a été proposée par une lectrice mienne, M.F.E qui a eu l’amabilité de m’envoyer un mail de félicitation et d’encouragement. Je vous propose in extenso son petit mot qui ne manque pas pour autant de pertinence et d’intelligence : « Bonjour mon père, je suis une fidèle lectrice de votre rubrique "au nom de notre foi". Je vous félicite et je suis fière d'avoir un prêtre comme vous ; un prophète qui prêche à temps et à contre temps. En vous lisant je me dis qu'il y a encore dans ce pays des hommes qui ont donné sincèrement leur vie à christ et qui sont prêts à tout pourvu que la dignité humaine soit respectée. J’ai mal quand je vois que des ivoiriennes et ivoiriens sont torturés, tués, brûlés, emprisonnés injustement à côté de nos maisons et que personne ne dit mot. Tous les hommes de Dieu on perdu curieusement la langue. Tout le monde se tait et se fait complice de la souffrance de leurs semblables. Que Dieu vous donne la force mon père pour toujours parler à temps et à contre temps au nom de votre foi. Que vous puissiez aussi interpeller vos confrères pour qu'ils ne nous livrent pas des homélies creuses qui ne collent pas à l'actualité. Nous savons tous que Dieu est amour depuis notre catéchèse jusqu'aujourd'hui, mais que devons nous faire pour que le frère qui est tué, torturé, brûlé emprisonné injustement à côté de nos paroisses sans qu'une petite prière soit dite publiquement pour lui? Dieu nous demandera tous des comptes. Excusez-moi si j'ai été un peu long pour un premier contact. » Pour lui dire merci pour ce mot et surtout pour ce premier contact avec moi, je lui ai demandé de me proposer un thème qu’elle voudrait voir être traité dans la rubrique. Voici sa proposition : « oui mon père. Voici ma proposition : "le silence de l'Eglise catholique face aux violations des droits humains en ci" (tueries, tortures, enlèvements, emprisonnements injustes, confiscation de biens meubles et immeubles). Merci beaucoup mon père pour l'attention que vous avez portée à mes encouragements. Il y a au moins des personnes qui sont attentives à nos "souffrances silencieuses". Au nom de la foi que Dieu vous aide. Soyez toujours rassuré de mes encouragements et de mes prières. Bonne journée. » La pertinence de sa proposition est bien évidente. De plus en plus, les fidèles catholiques africains en général et ivoiriens en particulier s’interrogent sur la mission réelle de leurs pasteurs que nous sommes dans une société qui les maltraitent et dans laquelle ils ne sentent pas le soutien de ceux-là mêmes désignés par Dieu pour les protéger, les couvrir et les défendre dans la tourmente. C’est à juste titre que de plus en plus également, après la messe, les fidèles se demandent ce que leur prêtre leur a raconté dans son homélie. Ils nous disent plus inspirés à prêcher pour la « quête spéciale » qu’à leur faire comprendre, par nos homélies, la profondeur de l’Evangile à partir de ce qu’ils vivent dans la douloureuse réalité de leur quotidien. Notre sœur, qui se fait ainsi l’écho de tant de fidèles ivoiriens, veut comprendre « le silence de l’Eglise catholique face aux violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire. » Cela est une préoccupation bien légitime et actuelle. Moi je ne parlerai pas de « silence » mais plutôt de pertinence des réactions de l’Eglise catholique de notre pays face au drame des Ivoiriens. Car il faut reconnaître à sa décharge que l’Eglise catholique n’est jamais restée silencieuse face au désastre humain et matériel que notre pays vit dramatiquement dans sa chair depuis plusieurs années et encore davantage depuis plus de deux ans maintenant après l’irruption brutale et sauvage des « bombes démocratiques » dans la vie politique. Les autorités catholiques ont produit plusieurs déclarations. Mais quelles pertinences ou efficacités et quelles influences ont celles-ci d’abord sur les fidèles, ensuite sur les politiciens et enfin sur l’ensemble des Ivoiriens? Ce qui est à déplorer, c’est que de plus en plus, à l’intérieur de la Conférence épiscopale de notre pays elle-même, les voix sont discordantes qui s’entrechoquent amèrement. Un groupe d’évêques bien connu est véritablement affiché comme soutien au pouvoir actuel de qui il tire certainement beaucoup d’avantages et de profits. Un autre groupe essaie timidement, même mollement de faire entendre des voix contraires mais très vite étouffées pour les besoins de la cause. De cette façon, le risque est de laisser de côté les préoccupations grandissantes des Ivoiriens au profit de batailles inutiles de préséance et d’intérêt de clans pour plaire au pouvoir qui traque, torture, pille et tue de pauvres innocents. Quant aux prêtres eux-mêmes, pris dans le tourbillon du jeu des politiciens, nous nous laissons emporter par la vague et la mêlée, chacun tirant le drap de son côté, accrochés que nous sommes aux intérêts matériels que nous procurent souvent les cadres de nos différentes régions marqués par leur parti politique qui les fait et défait. Nous qui sommes prêtres hors d’Abidjan, nous n’hésitons pas à solliciter les cadres originaires de nos paroisses pour subventionner et parrainer nos activités et pour faire vivre nos paroisses. Dans ces conditions, il va sans dire que le courage prophétique propre à notre ministère et qui devrait marquer nos activités pastorales et nos homélies est fortement biaisé au profit de ces cadres politiquement marqués, et bien entendu au mépris de la douleur d’un peuple chrétien maltraité et humilié par le pouvoir. Les chrétiens ivoiriens rêvent certainement d’avoir des pasteurs à l’image de Desmond Tutu d’Afrique du Sud, du cardinal Christian Tumi, des pères Jean-Marc Ela ou Engelbert Mveng du Cameroun. Ceux-ci ont en effet courageusement lutté contre les injustices et les violations des droits de l’homme des pouvoirs de chez eux. De ce point de vue, le constat est que nous évêques et prêtres ivoiriens avons beaucoup encore à apprendre au niveau de notre engagement pour la justice et les droits de l’homme. L’engagement du prêtre dans la société ne se négocie pas. Il est un ordre divin. La mission qu’il a reçue du Christ lui intime l’ordre de prendre partie, hic et nunc, en faveur des marginalisés, des déshérités, des laissés pour compte de la politique des hommes au pouvoir et des gouvernants prévaricateurs qui ne pensent qu’à leur ventre et à celui de leur clan et région rattrapés. Allant plus loin, le prêtre camerounais, sociologue, anthropologue et théologien, Jean-Marc Ela, lie la violence et la violation des droits de l’homme qui l’accompagne au péché : « Je me suis aperçu que le péché n’est pas seulement quelque chose de personnel ou d’intérieur, de moral et de spirituel. Il a aussi une dimension politique parce que le péché s’inscrit dans les structures d’injustice, de violence et de domination qui font que beaucoup d’hommes sont dépouillés de leurs biens, sont victimes d’un Etat qui affame et tue en fonctionnant par différentes formes de massacres, de violation des droits de la personne et les camps de torture » (Cf. Assogba, Y., Jean-Marc Ela, le sociologue et théologien africain en boubou, Paris, L’Harmattan, 1999, p.65). En Côte d’Ivoire, il nous faut un clergé, mais aussi des fidèles courageux qui savent lutter contre les injustices et non un clergé et un laïcat soumis, accrochés et même scotchés au pouvoir pour des prébendes et autres subsides pour construire des églises et effectuer des pèlerinages en Terre sainte tous frais payés, toutes choses qui ne garantissent pas le courage et l’indépendance d’esprit de l’Eglise et de ses pasteurs qui l’animent. Au nom de l’Evangile et de notre foi, nous devons sortir des sentiers battus du pusillanime pour nous engager aux côtés de la misère qui a pris visage humain chez nous, dans nos presbytères, nos paroisses et nos diocèses.
| |
|
|
|
|
|
|
|
La dignité africaine
28/06/2013 08:46
La dignité africaine
De plus en plus, des voix nombreuses s’élèvent en Afrique et l’on parle de « l’Afrique digne » ou « des Africains dignes ». Ce concept est surtout employé par des intellectuels africains, des journalistes y compris, pour montrer que derrière ce tableau obscur et miséreux que véhicule consciemment et méchamment la presse occidentale pour enfoncer et humilier davantage l’Afrique, il y a une Afrique qui veut bouger et qui refuse de s’aligner sur les ordres des propriétaires du monde qui soumettent sans pitié ce continent en coupe réglée. C’est aussi ce qu’un grand savant africain, Achille Mbembé en l’occurrence, qualifie d’ « Afriques indociles » (Cf. son livre Afriques indociles, christianisme, pouvoir et Etat…, Paris, Karthala, 1988, 213p). Cette « autre Afrique » est constituée surtout d’intellectuels africains de tous les domaines d’activités vivant ou non sur le continent et des étrangers qui prennent de plus en plus fait et cause pour le combat d’émancipation et de dignité que mènent ces intellectuels insoumis contre l’ordre mondial dévoyé et anachronique. Ayant pour la plupart fréquenté les grandes universités du monde et y avoir obtenu leurs diplômes, ils ont suffisamment diagnostiqué le « mal-Afrique », pris le pouls de la situation et ont compris donc le malheur projeté sur ce continent par des groupes d’intérêts mafieux et franc-maçonniques qui ne pensent qu’à la rondeur de leur ventre avec leurs complices locaux qu’ils installent comme leurs relais dans les palais africains. Décomplexés pour la plupart, intègres jusqu’au bout, ils tentent de redorer le blason de l’Afrique étranglée et humiliée à travers écrits, conférences, colloques et manifestations. Si nous devons donner un contenu pur et dur à ce concept, nous avons à comprendre que nous ne devons pas pleurnicher sur notre sort. Nos larmes ont certainement trop coulé, à raison peut-être, à cause de la grandeur de notre drame et de notre profonde amertume. Cependant, l’Afrique digne doit être cette Afrique qui prend conscience de sa situation de dominée et d’humiliée et se donne les moyens, sans rancœur et rancune, mépris et vengeance, de sortir de sa léthargie chronique et des griffes et crocs de ses agresseurs de plus en plus nombreux, violents et exigeants. C’est aussi cette Afrique qui se dote de présidents dignes, qu’elle choisit elle-même et pour elle-même, selon ses propres visions et intérêts, loin des « bombes démocratiques » et sarkoziennes, porteurs de projets intelligents pour leurs peuples et capables de braver l’adversité et de positionner leurs concitoyens sur le chemin du développement. Tout cela, convenez avec moi, constitue un défi majeur à relever forcément. Car, il y a le poids d’une tradition multiséculaire qui refuse de mourir mais qui s’enracine au fil des ans et il y a aussi, les exigences de développement actuelles dont les Africains dignes sont conscients. Le maître, pour des raisons qui lui sont propres mais que nous connaissons depuis longtemps, refuse de lâcher du lest. En face le néo-colonisé veut prendre, vaille que vaille (on dit chez nous tchoco-tchoco) son envol ici et maintenant. La bataille est épique qui exige que la nouvelle génération, celle qui court derrière sa décolonisation, et non sa « recolonisation » (selon Stéphane Smith), prenne en main le contrôle de la situation. Mais en face, il y a les dinosaures, les timoniers et les « boucantiers » qui ont de tout temps participé aux banquets et à la soupe privilégiés du maître et se sont attachés à son goût au point de croire qu’il est le leur et qu’en dehors de lui, il n’y a pas mieux ailleurs. Ils préfèrent ainsi leur état de dominés et de sous-préfets à tout autre. Mais, dans notre cas, la dignité est une conquête. Elle ne sera jamais un don que le maître voudra nous faire par pure grâce. Il nous faut donc lutter pour la conquérir et en jouir pleinement. En mesurant l’ampleur du drame qui secoue ce continent et l’homme noir depuis leur tumultueuse rencontre avec l’homme blanc, nous déplorons le mépris que celui-ci a toujours eu pour le Noir. Derrière des apparences bons chics bons genres, le Blanc n’acceptera jamais d’être l’égal du Noir. Il dit posséder et contrôler « sa psychologie et son âme ». Au nom de cela, il peut le traiter en esclave et donc en moins que rien. La conquête de notre dignité consistera donc d’abord à prendre conscience que le Blanc nous « aime » parce qu’il peut encore et toujours profiter de nous. Il est donc clair que si les choses restent en l’état, nous continuerons toujours à travailler comme des esclaves pour nous appauvrir et l’enrichir. D’ailleurs, le système actuel mis en place consiste fort bien à nous maintenir dans notre état d’êtres humains subalternes et dominés, taillables et corvéables à merci. Il est malheureux et triste que certains Africains tombent en transe quand, dans des discussions et débats intellectuels, nous évoquons cet aspect nuisible et méprisant de notre relation avec le Blanc. Le pire est qu’on nous défend d’en parler. Pris dans le tourbillon d’une espèce de syndrome de Stockholm où la violée tombe contre toute attente amoureuse de son violeur, ils nous rabâchent chaque fois qu’on n’a pas besoin d’évoquer notre soumission pour nous développer et surtout que le Blanc est là pour nous faire du bien ; qu’il suffit que nous ne voulions pour que notre développement advienne illico presto, ici et maintenant. Le dire, c’est faire semblant d’ignorer tout le système de profits et de rackets mis en place pour que nous demeurions dans notre léthargie chronique. Je suis de ceux qui pensent que nous ne devons pas perdre notre temps à pleurer sur notre sort. Mais je suis tout aussi convaincu que nos malheurs ne viennent pas seulement de nous. La question donc de la conquête et de la découverte de notre dignité reste une priorité. Pour moi, il est le socle sur lequel tout peut se construire en Afrique. Les Asiatiques et les Sud-américains nous en donnent chaque jour l’exemple.
| |
|
|
|
|
|
|
|
L'amertume d'un prêtre
21/06/2013 11:45
L’amertume d’un prêtre
Beaucoup d’amis miens me félicitent et m’encouragent régulièrement pour la rubrique hebdomadaire « Au nom de notre foi ». Ils vont même jusqu’à louer mon courage selon eux « jamais vu » ! Cette rubrique, depuis plus d’un an que je l’anime, je n’ai jamais reçu d’avis contraires. Je n’ose pas douter cependant que mon opinion ne plaise pas à tous, particulièrement à ceux dont je critique aujourd’hui la politique et la gouvernance dans notre pays ; je suis convaincu qu’ils sont aux aguets, prêts à attaquer, selon leur propre méthode. Mais, en exposant publiquement mes opinions politiques de cette manière et à partir de cette tribune, mon intention n’est nullement de plaire à un camp et de déplaire à un autre camp, loin s’en faut. Mon intention première et essentielle, celle qui me travaille et me guide depuis un moment, est de dénoncer des pratiques inhumaines et honteuses aux antipodes de la civilisation moderne, en prenant la défense des faibles dont je suis. Cela est certainement une prétention de ma part. J’en suis conscient et je l’assume de toutes les façons. Le faisant, j’ai la prétention de m’inscrire dans la lignée glorieuse et la logique légendaire des prophètes bibliques vétéro et néotestamentaires qui ont eu le courage de parler, au nom de Dieu, aux gouvernants de leur temps qui crachaient le feu, maltraitaient et opprimaient leurs peuples de mille et une manières. Je peux citer et encourager à lire Amos, Osée, Jérémie, Ezéchiel, Jean Baptiste, sans oublier Moïse, leur ancêtre commun. Dénoncer, c’est refuser d’accepter une pratique contraire au bon sens et qui porte gravement atteinte à la dignité humaine. Or, depuis le malheureux et triste 11 avril 2011, ceux qui ont été installés sous escorte des bombes démocratiques au palais ivoire font feu de tout bois en matière de violation de la dignité des Ivoiriens qui ne pensent pas comme eux : ils traquent, matraquent, humilient, torturent et tuent leurs opposants. La barbarie et la violence avec lesquelles ils gouvernent aujourd’hui le pays doivent nous faire sortir de nos sommeils dogmatiques et de nos peurs légendaires pour faire entendre la voix des opprimés et des laissés pour compte de leur ignoble système. Aujourd’hui, les Ivoiriens se regardent en chiens de faïence. Les uns veulent en découdre avec les autres. Malgré le camouflage de cette réalité par le système dominant, ceux qui sont attentifs à la vie du pays, ceux qui ne se plaisent pas à l’étranger, sentent la menace et le danger poindre à l’oraison. En se faisant complice de cette violence et de ce déni d’humanité, la nébuleuse dénie aux Ivoiriens maltraités, humiliés et étranglés le droit à la contradiction, à la démocratie et à la vie. L’amertume que suscite cette attitude doit être criée sous tous les toits afin que le monde entier (et non la « Communauté internationale » seulement) sache qu’en Côte d’Ivoire une partie de la population est méprisée et haïe, maltraitée et bannie à cause de ses opinions politiques et de son indéfectible attachement à un homme en qui elle croit encore parce que porteur de valeurs et de vertus capables de nous sortir de l’emprise des propriétaires de ce monde. Ce qui se passe en Côte d’Ivoire depuis plus de deux ans maintenant n’est qu’une dictature soutenue et encouragée par les puissances mondiales bien connues en vue du pillage et de l’exploitation systématiques et sans scrupule de nos richesses. Depuis le 11 avril 2011, c’est ce que nous tentons de dénoncer dans nos écrits et nos échanges avec les amis. Le prêtre que je suis crie son amertume devant ce drame qui annonce les prochains malheurs de notre pays. En effet, il n’y a pas à être prophète pour reconnaître que notre pays court vers une autre catastrophe plus grande dans l’état actuel où il se trouve. Nos dirigeants actuels, enivrés par leur victoire d’une guerre qu’ils ont faite par procuration, ferment les oreilles aux cris de détresses et d’angoisses de ceux qu’ils torturent dans les nouveaux camps de concentration et de tortures qu’ils ont créés dans tout le pays. Pendant qu’ils protègent les leurs, ceux issus de leur région, religion, clan, ethnie et parti, ils massacrent les autres avec l’aide d’une horde de dozos et autres soldats mal famés et incultes transformés pour la circonstance en guérilléros tortionnaires, braqueurs et coupeurs de routes patentés. C’est là justement que la parole du prêtre doit se faire entendre. En parlant au nom de Dieu et non en son nom propre, le prêtre, comme un prophète et ministre du culte, doit attirer l’attention de nos dirigeants actuels sur leurs méfaits et éveiller la conscience des opprimés à partir de la Parole de Dieu. Dans la situation actuelle de notre pays, le risque est que le prêtre, en œuvrant à protéger sa propre tête et ses intérêts personnels, abandonne ses fidèles à l’oppression des dictateurs. Beaucoup malheureusement parmi nous ont fait le choix de ne rien voir, de ne rien dire et de ne rien entendre. Ce choix est foncièrement anti-biblique et suicidaire qui constitue une fuite en avant devant les réalités et les exigences mêmes de sa mission. Le prêtre ne doit pas être un sapeur pompier, celui qu’on sollicite pour éteindre le feu allumé par les politiciens hasardeux en organisant des séances de prières à n’en point finir, mais il doit être un éveilleur de conscience qui prévient les drames en dénonçant les exactions du moment. D’ailleurs, le Concile Vatican II prévient que la prédication du prêtre ne doit pas se contenter ou se limiter à exposer la Parole de Dieu et la doctrine chrétienne de manière générale et abstraite mais celle-ci doit appliquer la vérité permanente de l’Evangile aux circonstances concrètes de la vie (Cf. Décret sur le ministère et la vie des prêtres, n°4). Cela veut tout simplement dire que le prêtre doit faire comprendre les évènements de son temps à la lumière de la Parole de Dieu.
| |
|
|
|
|