Eglise et débat sur la Cei
S’il y une passion qui préoccupe et cristallise aujourd’hui le tumultueux monde politique ivoirien dans toute sa diversité et ses couleurs, des plus doctes aux plus ordinaires, c’est bien le débat sur la nouvelle mouture de la Cei. Si l’argent est le nerf de la guerre, il faut bien admettre que chez nous, en plus de l’argent, il y a aussi cette Cei qui est le nerf de notre guerre. De près ou de loin, l’on assiste ou participe à cette rhétorique politico-électorale qui ne manque aucunement d’intérêts pour diverses raisons que nul n’ignore. On le sait, la Cei est à la base de la guerre qui a violemment secoué et déstructuré le fragile tissu social de notre pays en 2010 et 2011. Cette Cei, chez nous, est la tour de contrôle du fauteuil présidentiel et de tous les insignes du pouvoir qui s’y rattachent. La Cei détient le code d’accès au pouvoir présidentiel. Ainsi, qui la contrôle est plus que sûr de détenir les clefs du palais. Normalement, en tant que Commission indépendante, elle devrait être véritablement indépendante ; c’est-à-dire qu’elle devrait être animée par des citoyens ivoiriens dotés d’une morale, d’une honnêteté et d’un courage peu suspects. Malheureusement notre Commission indépendante à nous est le nid de tous les va-t-en guerre coptés par leurs mentors pour y être leur bras séculiers. Sa composition dont on veut la doter contient déjà les germes et les signes avant-coureurs d’une nouvelle crispation et donc d’une nouvelle guerre bien visible à l’horizon. Un comédien de chez nous a bien dit que quand deux personnes se battent pour une somme de mille francs Cfa, c’est qu’il y en a un qui veut six cents francs au lieu de cinq cents francs qui est la parité parfaite.
Dans ce grand débat qui fait rage dans la société ivoirienne ces temps-ci, ce qui me surprend, c’est le grand silence de nos hommes de Dieu, surtout de l’autorité catholique de notre pays. Toujours suspectée d’appartenir à un clan ou à un autre, toute chose qui altère gravement la pertinence de ses interventions et la crédibilité de sa mission, notre Conférence épiscopale, refusant d’assumer sa mission prophétique dans une société qui ne la reconnaît plus comme prophète, préfère peut-être se taire pour préserver le peu d’honneur qui lui reste. Ce qui peut-être la préoccupe en ce moment, c’est le programme des veillées de prière pour la paix et la réconciliation après les élections à venir, quand les armes seraient en train de tonner et que la population serait en train d’être décimée. J’ai toujours dit que cette méthode est inefficace et indigne. La mission de l’Eglise n’est pas d’organiser, comme un pompier, des veillées de prière pour la paix et la réconciliation pour faire plaisir aux hommes politiques. Et j’ai toujours refusé, depuis un certain temps, de participer à un tel montage. Je n’ai jamais considéré Dieu comme un pompier ou un magicien faiseur de paix et de réconciliation. La mission de l’Eglise, surtout dans notre pays en pareille circonstance, est d’attirer publiquement et courageusement, même à cor et à cri, l’attention de ceux qui préparent la prochaine guerre en braquant et prenant en otage la Cei. Si notre Eglise se contente de ce strapontin qu’on lui a donné au sein de cette Commission pour entretenir l’illusion qu’elle est encore importante dans cette société ivoirienne, elle manquera encore une fois, et malheureusement, d’être prophète dans une société prise en otage par des politiciens sans envergure qui trônent avec des armes au sommet de l’Etat. Chez nous, nous devons comprendre la « Nouvelle évangélisation » (formule à la mode aujourd’hui) comme la mission prophétique de l’Eglise dans une société sans valeur et sans morale depuis le sommet jusqu’à la base. La « Nouvelle évangélisation » ne pourra jamais être l’acquisition de « moyens de communication sociale » : journaux, radios, télévisions, sonos pour les veillées de prières. Elle doit être l’insertion concrète de l’Eglise dans la vie sociale, politique et économique du peuple, principalement du peuple martyrisé et souffrant, sacrement de Jésus-Christ. Si l’Eglise de notre pays ne donne de la voix que quand l’Etat lui refuse ses subventions pour ses écoles et ses nombreux pèlerinages en terre sainte, elle ne peut pas être l’espérance du peuple souffrant. « Évangéliser, a dit le pape François, c’est rendre présent dans le monde le Royaume de Dieu ». Pour la « Nouvelle évangélisation », le pape nous invite à sortir du confort de nos églises pour affronter les réalités de nos sociétés : « Sortons, sortons pour offrir à tous la vie de Jésus-Christ…je préfère une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie sur les chemins, plutôt qu’une Eglise malade de son enfermement et qui s’accroche confortablement à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Eglise préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures…Ne nous laissons pas voler la force missionnaire » (La joie de l’Evangile, n°s176, 49 et 109). Voilà, pour le pape François, et donc pour toute l’Eglise catholique ce que devrait être la « Nouvelle évangélisation ». Si l’Eglise de notre pays veut éviter notre seconde guerre, si elle veut répondre à l’appel du pape pour la « Nouvelle évangélisation », elle doit courageusement prendre part au débat actuel sur la Cei. La politique ne doit plus être pour elle un tabou mais un moyen de communion et de solidarité avec les opprimés de notre pays. Peut-être par là, trouverait-elle une nouvelle jeunesse et une nouvelle crédibilité.