Dictateur et Déculotter
- Le pouvoir ne va pas se déculotter devant le Fpi, dit le porte-parole du gouvernement ivoirien.
- L’on ne doit plus écrire dans les journaux que le chef de l’Etat ivoirien est un dictateur, a dit le gouvernement sous couvert du cnp.
Ces deux faits ont attiré mon attention de prêtre-chroniqueur surtout qu’ils se sont déroulés pendant la semaine sainte qui est de loin la plus importante du christianisme. Les mots dictateur et déculotter m’ont rappelé Pilate et les autres pontes de son époque tels les chefs religieux. Ensemble, ils ont décidé, sur fausses accusations, d’éliminer Jésus. Je ne reviendrai pas sur cet événement ici. Cependant les similitudes des faits ne m’ont pas échappé. Pilate et les chefs religieux de son époque qui ont condamné Jésus à mourir sur la croix sont depuis toujours décrits comme des dictateurs. Ces dictateurs ne voulaient pas se déculotter devant Jésus qui prétendait être Fils de Dieu, qui drainait du monde et que ses détracteurs regardaient comme un agitateur politique, un concurrent sérieux au siège royal. « Es-tu roi ? », lui demanda Pilate lors de son interrogatoire musclé. Pour cela, la royauté de son temps et ses tenants n’ont pas voulu se déculotter vis-à-vis de lui au risque de se voir renversée par celui qu’ils regardaient comme un prétentieux et surtout comme un adversaire à la fois politique et religieux. Chez nous, il y a un pouvoir et une opposition. L’opposition décrit et stigmatise le tenant du pouvoir comme un dictateur parce qu’il est minoritaire, torture, embastille et déporte tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Et le pouvoir le prévient qu’il ne se déculottera pas devant lui, traitant son chef d’agitateur politique portant atteinte à « l’ordre public ». (Chez les enfants, se déculotter veut dire enlever son caleçon). En attendant de passer à la vitesse supérieure, comme il sait bien le faire, il a décidé de fermer la bouche des journalistes et des journaux qui le traitent de dictateur. Il semble qu’il y a d’autres décisions plus importantes en vue. Il nous a habitués à cette façon de gouverner. Bien entendu, tout cela nous plonge dans un imbroglio politique dont une république qui veut se respecter et émerger ne devrait ni s’accommoder ni s’encombrer. Mais hélas ! Si la sagesse n’a pas habité Pilate et ses contemporains qui ont condamné à mort Jésus parce qu’ils ne voulaient pas se déculotter, on ne peut pas dire qu’elle habite aujourd’hui le pouvoir d’Abidjan qui ne veut pas lui aussi se déculotter en fermant la bouche des journalistes dont le métier est pourtant de parler et d’écrire ce qui va bien comme ce qui va mal dans une république en voie d’ « émergence ». En mon sens, un pouvoir qui ne veut pas être traité de dictateur ne doit pas agir comme celui d’Abidjan l’a fait. Quand on veut présenter sous les formes glorieuses son vertueux de chef et ses actions, on doit être pédagogue. Ici, l’être, c’est enseigner les vertus de son chef pour contrarier et convaincre ses détracteurs incorrigibles. Contre les arguments accusateurs des journalistes, le pouvoir aurait dû présenter les contre-arguments productifs et valorisants du chef vertueux et démocrate hors paire. Or, la décision qu’il a pris donne justement du poids aux arguments des journalistes accusateurs. On ne peut pas interdire à ceux-ci d’écrire que le chef est un dictateur en fermant les journaux. De même, on ne peut pas répondre à son opposition en la menaçant. Tous ces actes sont des actes d’un dictateur. Est-ce la sagesse qui a manqué aux chargés de communication du chef en intimant à la cnp de fermer ces journaux ? Je ne puis le croire. Car, ces décisions sont des actes mêmes de la nature du pouvoir en place à Abidjan. Ce sont effectivement les actes d’un dictateur. Et puis, on ne peut pas aller à l’ « émergence » en fermant les journaux qui ne pensent pas comme soi. Dans les pays qui ont de l’ambition, ces genres de journaux sont la prunelle des gouvernants et non des ennemis à abattre. Le sociologue français Gaston Bouthoul a examiné les caractéristiques du fonctionnement des régimes dictatoriaux. Il relève opportunément que la minorité qui s’empare du pouvoir exerce sans partage tous les droits politiques. Elle a seule vocation aux fonctions importantes de l’Etat, de l’administration et de l’économie. Elle est seule à jouir des avantages matériels très appréciables, surtout en pays de pénurie comme le nôtre. Dans un tel régime, il relève que les membres du parti constituent une véritable aristocratie et il tend à une véritable hérédité (chez nous c’est le rattrapage) inavouée. Les immenses avantages que confère l’appartenance au parti, affermissent la discipline et le conformisme. Et quiconque en est exclu perd tout : son emploi, sa maison, en un mot à la fois sa respectabilité et ses ressources (Cf. Sociologie de la politique, Puf, 1967, pp.77-78). Pour paraphraser l’altermondialiste Aminata Traoré, une femme de combat que j’aime particulièrement, je soutiens que la vérité et la justice sont aujourd’hui ce dont nous avons besoin chez nous et de manière générale en Afrique, pour ne pas avoir honte de nous-mêmes, ne pas désespérer de nous et de cette Afrique qui nous tient à cœur: (Cf. L’Afrique humiliée, 2011, p.87).