Mandela ou l'honneur de la liberté
Au nom de notre foi ne peut pas rester indifférent à l'hommage planétaire rendu en ce monument que fut Nelson Mandela. Je lui dédie donc le numéro de ce jour. Mais pour ne pas avoir à dire des choses contre la volonté de l'homme, comme c'est malheureusement le cas depuis l'annonce de sa mort, en considérant sa grande humilité, j'ai choisi de le faire parler lui-même. Ainsi, j'ai relevé quelques paroles fortes dans son livre autobiographique pour que l'on apprenne à le connaître par lui-même et non par des discours hypocrites qui fusent aujourd'hui dans le monde entier en faveur d'un homme qui a été traité de «terroriste» et condamné à finir ses jours en prison. Le mensonge et l'hypocrisie des puissants de ce monde vis-à-vis de Mandela est tellement flagrante aujourd'hui que tout le monde s'en rend bien compte. Écoutons alors Nelson Mandela parler de lui-même, de ses maîtres, de son engagement pour la libération de ses frères noirs, de sa famille. (Cf. Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Paris, Fayard, 2013, 768p. ) Un livre que je vous conseille vivement comme guide politique et socle d'engagement social.
Le mépris d'une culture: « Le premier jour de classe, mon institutrice, Miss Mdingane, nous a donné à chacun un prénom anglais et nous a dit que dorénavant ce serait notre prénom à l'école. A cette époque, c'était la coutume, sans doute à cause de la prévention des Britanniques envers notre éducation. Celle que j'ai reçue était britannique et les idées britanniques, la culture britannique, les institutions britanniques étaient censées être supérieures. La culture africaine n'existait pas. Les Africains de ma génération – et encore ceux d'aujourd'hui – ont en général un prénom anglais et un prénom africain. Les Blancs ne pouvaient ou ne voulaient pas prononcer un prénom africain, et ils considéraient qu'en porter un était non civilisé. Ce jour-là, Miss Mdingane m'a dit que mon nouveau prénom serait Nelson (…) (p.20-21).
Aux jeunes africains d'aujourd'hui: (…) «J'allais à l'école, qui n'avait qu'une seule classe, à côté du palais, et j'apprenais l'anglais, le xhosa, l'histoire et la géographie. Nous faisions nos devoirs sur une ardoise. Nos instituteurs, Mr. Fadana, et, plus tard, Mr. Giqwa, me portaient un intérêt particulier. Je réussissais bien, moins par facilité que par obstination. La discipline que je m'imposais était renforcée par ma tante Phathiwe qui habitait à la Grande Demeure et qui, chaque soir, contrôlait mon travail» (p.25).
Un racisme masqué: (…) «Le premier jour, une agréable jeune secrétaire blanche, Miss Lieberman, me prit à part et me dit: «Nelson, il n'y a pas de barrière de couleur dans le cabinet.» Elle m'expliqua qu'en milieu de matinée celui qui préparait le thé arrivait avec un plateau et un certain nombre de tasses. «En l'honneur de votre arrivée, nous avons acheté deux tasses neuves pour vous et pour Gaur, dit-elle. Les secrétaires portent le thé aux avocats mais vous et Gaur, vous prendrez votre thé vous-mêmes, comme nous. Je vous appellerai quand le thé arrivera et vous pourrez le prendre dans les tasses neuves.» Elle ajoutait que je devais transmettre ce message à Gaur. Je lui étais reconnaissant pour toutes ses attentions, mais je savais que les «deux tasses neuves» qu'elle avait pris tant de soin à mentionner étaient la preuve de la barrière de couleur qui, d'après elle, n'existait pas. Les secrétaires partageaient peut-être le thé avec deux Africains, mais pas les tasses pour le boire» (p.91).
Le mépris du noir: (…) «Un après-midi que je rentrais à Alexandra par le bus, je me suis assis à côté d'un type de mon âge. C'était un de ces jeunes qui portaient des costumes imitant ceux des gangsters américains du cinéma. Je me suis rendu compte que ma veste touchait la sienne. Il l'a remarqué lui aussi et s'est prudemment écarté pour que je ne puisse pas le salir. Quand j'y repense, je pense que c'était un geste mesquin et comique, mais pénible sur le moment» (pp. 97-98).
La vie dans le ghetto : (…) «Malgré mes faiblesses sur le plan sentimental, je me suis progressivement adapté à la vie dans le township, et j'ai commencé à prendre conscience d'une certaine force intérieure, à croire que je pouvais très bien me débrouiller en dehors du monde dans lequel j'avais grandi. J'ai découvert lentement que je ne devais pas compter sur mon appartenance à la famille royale ni sur son soutien pour avancer et j'ai noué des relations avec des gens qui ignoraient mon ascendance royale ou que cela n'intéressaient pas. J'avais mon propre chez-moi, aussi humble soit-il, et je sentais naître en moi la confiance et l'indépendance nécessaires pour voler de mes propres ailes» (pp.102-103)
Observateur de l'engagement des autres:(…) «Ce qui me faisait l'impression la plus profonde, c'était l'engagement total de Gaur dans la lutte de libération. Il vivait et respirait la recherche de la liberté. Parfois, Gaur assistait à plusieurs meetings dans la même journée, où il était un des principaux orateurs. Il me semblait penser qu'à la révolution. Je l'accompagnais aux meetings du Conseil consultatif du township et à ceux de l'ANC. J'y allais en tant qu'observateur, pas en tant que participant, car je ne pense pas y avoir jamais parlé. Je voulais comprendre les questions dont on débattait, j'évaluais les arguments, je voyais l'envergure des hommes impliqués» (p.108).
La naissance d'un engagement: (…) «Je suis incapable d'indiquer exactement le moment où je suis devenu politisé, le moment où j'ai su que je consacrerais ma vie à la lutte de libération. Être Africain en Afrique du Sud signifie qu'on est politisé à l’instant de sa naissance, qu'on le sache ou non. Un enfant africain naît dans un hôpital réservé aux Africains, et il va dans une école réservée aux Africains, si toutefois il va à l'école. Quand il grandit, il ne peut occuper qu'un emploi réservé aux Africains, louer une maison dans un township réservé aux Africains, voyager dans des trains réservés aux Africains et on peut l'arrêter à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit pour lui donner l'ordre de présenter un pass, et s'il ne peut pas, on le jette en prison. Sa vie est circonscrite par les lois et les règlements racistes qui mutilent son développement, affaiblissent ses possibilités et étouffent sa vie. Telle était la réalité et on pouvait l'affronter de milliers de façons. Je n'ai pas connu d'instant exceptionnel, pas de révélation, pas de moment de vérité, mais l'accumulation de milliers d'affronts, de milliers d'humiliations, de milliers d'instants oubliés, a créé en moi une colère, un esprit de révolte, le désir de combattre le système qui emprisonnait mon peuple. Il n'y a pas eu de jour particulier où j'aurais dit: à partir de maintenant je vais me consacrer à la libération de mon peuple; à la place je me suis simplement retrouvé en train de le faire sans pouvoir m'en empêcher. J'ai mentionné beaucoup de gens qui m'ont influencé mais j'étais de plus en plus sous la tutelle prudente de Walter Sisulu. Walter était fort et raisonnable, pratique et dévoué. Il ne perdait jamais la tête dans une crise; il restait souvent silencieux quand les autres criaient et hurlaient. Il croyait que l'ANC était un moyen pour créer des changements en Afrique du Sud, une organisation dépositaire des espoirs et des aspirations des Noirs» (pp. 117-118).
L'optimisme du combattant: (…) «Je suis fondamentalement optimiste. Je ne sais si cela vient de ma nature ou de ma culture. Être optimiste c'est en partie avoir la tête dirigée vers le soleil et le pieds qui continuent à avancer. Il y eut beaucoup de moments sombres quand ma foi dans l'humanité était mise à rude épreuve, mais je ne voulais ni ne pouvais me laisser aller au désespoir. Cette voie mène à la défaite et à la mort.» (p.474).
(…) En tant que prisonnier du groupe D, je n'avais droit à recevoir qu'une seule visite et à écrire qu'une seule lettre tous les six mois. Je trouvais qu'il s'agissait d'une des restrictions les plus inhumaines du système carcéral. La communication avec sa famille est un des droits de l'homme... Les visites et les lettres étaient limitées aux parents de «premier degré». Nous ne trouvions pas cette restriction seulement pénible mais aussi raciste. Le sens africain de la famille proche est très différent de celui qu'en ont les Européens et les Occidentaux. Pour nous, les structures familiales sont plus vastes et plus inclusives... En prison, il y a pis que les mauvaises nouvelles de sa famille, c'est l'absence totale de nouvelles. Il est toujours plus difficile d'affronter les malheurs et les tragédies qu'on imagine que la réalité même menaçante ou désagréable» (p.484). (…) «Je n'avais jamais imaginé que la lutte serait courte ou facile. Pendant les premières années sur l'île, il y eut des moments pénibles pour l'organisation à l'extérieur et presque tout l'appareil clandestin du mouvement fut détruit. On avait découvert et anéanti nos structures; ceux qui n'avaient pas été arrêtés se sauvaient pour garder une tête d'avance sur l'ennemi. Virtuellement, chaque responsable important de l'ANC était en prison ou en fuite» (p.532).
Le combattant face à ses drames et interrogations: (…) «La mort de sa mère amène chaque homme à se retourner sur son passé et à faire le bilan de sa vie. Les difficultés et la pauvreté qu'avait connues ma mère m'amenèrent à me demander une nouvelle fois si j'avais pris le bon chemin. Toujours la même question: avais-je bien choisi en plaçant le bien-être du peuple avant celui de ma propre famille? Pendant longtemps, ma mère n'avait pas compris mon engagement dans la lutte. Bien que ma famille n'eût pas voulu y être entraînée, mon engagement l'avait pénalisée» (p.540).
La famille du combattant: (…) «Il n'y avait rien de plus angoissant que de savoir Winnie elle aussi en prison. J'essayais de faire bonne figure, mais intérieurement j'étais très troublé et très inquiet. Rien ne menaça plus mon équilibre que l'époque où Winnie se trouva en isolement. J'avais beau pousser les autres à ne pas s'inquiéter pour ce qu'ils ne pouvaient pas contrôler, j'étais incapable de suivre mes propres conseils. Je passais beaucoup de nuits blanches. Qu'est-ce que la police faisait à ma femme? Comment supportait-elle cela? Qui s'occupait de nos filles?» (p.541).
Ces quelques notes venant de lui-même révèlent Nelson Mandela tel qu'il est. Son amour pour la révolution et la libération pour son peuple et les Noirs en général est sans mesure et sans calcul. Mais, paradoxe des paradoxes, cet homme meurt au moment même où François Hollande convoque les Chefs d’États noirs à Paris comme ses sous-préfets pour leur donner des leçons de «sécurité» et de «défense» en vue de mieux les exploiter! Pire, il meurt le jour même où l'armée française envahit une partie de l'Afrique pour une lugubre «opération de sécurité»! Ces actes, je n'en doute point, tuent davantage Mandela. Et puis, Alassane Ouattara se rend aux funérailles d'un homme de la dimension de Mandela pendant qu'il pourchasse, jette en prison et torture ses opposants après avoir conduit le plus illustre d'entre eux à qui il voue une haine terrible et inhumaine à la CPI et refuse la réconciliation dans son pays, quand il pratique une discrimination ethnique dans son pays! A -t-il seulement compris le message d'Obama affirmant qu'on ne peut pas se dire solidaire de Mandela et refuser ou mépriser les opposants de son pays?Vu toutes ces contradictions et cette comédie mondiale sous nos yeux, on peut légitiment se demander si l’œuvre de libération entreprise par Mandela en Afrique pourra lui survivre.