PAR SA RESURRECTION LE CHRIST NOUS LIBERE
Essayons de nous souvenir des différents événements que nous venons de vivre ces jours-ci :
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le dimanche des rameaux, le christ est entré de façon triomphale à Jérusalem, allant ainsi courageusement au-devant de sa mort. Nous-mêmes avions dans la ferveur africaine commémoré cet événement sur notre paroisse.
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le mardi saint, autour de notre évêque, nous avions participé à la messe chrismale, au cours de laquelle les différentes huiles que l’Eglise utilise dans la liturgie et pour la sanctification de ses fidèles ont été bénites :
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* l’huile des catéchumènes qui servira à oindre ceux d’entre nous qui se préparent à devenir chrétiens par la catéchèse ;
* l’huile des malades pour réconforter, soutenir et guérir ceux d’entre nous qui souffrent douloureusement dans leur corps ;
* le Saint chrême, pour diverses bénédictions et la réception des sacrements de baptême, de la confirmation et de l’ordre ;
- le mercredi saint, dans la ferveur et la solidarité, nous avons mis notre église en état de propreté pour célébrer les différentes festivités pascales ;
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le jeudi saint, nous nous sommes rappelé la Cène du Seigneur, l’institution de l’Eucharistie et celle du sacerdoce. Au cours de cette messe, des pieds ont été lavés pour nous rappeler et vivre nous-mêmes ce geste d’humilité, de service et de don de soi accompli par le Christ lui-même.
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Le vendredi saint, avec le grand chemin de croix, la lecture de la passion du Christ et la vénération de la Croix, nous nous sommes rappelé les derniers instants de la vie du Christ ; événements douloureux auxquels nous avions participé avec foi ;
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Aujourd’hui samedi saint, nous sommes à la veillée pascale, veillée caractérisée par le rappel incessant de la lumière et l’écoute prolongée des Ecritures. Nous chantons et dansons la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ que la mort n’a pas retenu captif.
Nous sommes de plain-pied dans la joie pascale joie vers laquelle ont convergé tous les jours et tous les événements dont nous venons de nous rappeler le souvenir.
Avec le pape Jean Paul II, disons qu’aujourd’hui, l’Eglise s’arrête près du tombeau vide, encore une fois stupéfaite. Comme Marie Madeleine et les autres femmes, venues embaumer le corps du Crucifié, comme les apôtres Pierre et Jean, accourus sur la parole des femmes, l’Eglise s’incline sur le tombeau dans lequel le Seigneur a été déposé après la crucifixion.
Aujourd’hui, jour de la Résurrection, je fais mienne l’annonce du message céleste : « Il est ressuscité, il n’est pas ici » (Mc16, 6). Oui, la vie et la mort se sont affrontées et la Vie a triomphé pour toujours. Tout est orienté de manière nouvelle vers la vie, vers la vie éternelle !
« L’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père ». Avec les armes de l’amour, Dieu a vaincu le péché et la mort. Le Fils éternel, qui s’est dépouillé lui-même pour prendre la condition du serviteur obéissant jusqu’à la mort sur la croix (Ph2, 7-8), a vaincu le mal à la racine, ouvrant aux cœurs repentants le chemin du retour au Père. Il est la Porte de la Vie qui, à Pâques, triomphe sur les portes de l’enfer. Il est la Porte du salut, grande ouverte pour tous, la porte de la divine miséricorde, qui jette une lumière nouvelle sur l’existence humaine.
Pour mieux saisir l’importance de cet événement pascal que nous célébrons aujourd’hui même, je vous rapporte ce petit conte appris de mon grand-père : « Autrefois, la vie et la mort vivaient ensemble. Ils étaient même de grands amis, des alliés sûrs. Mais un jour, la mort, voulant supplanter la vie, la tua et l’avala net. Mais du ventre de la mort, la vie grignota, grignota, grignota la mort. Et la vie tua ainsi la mort et sortit vivante et victorieuse du ventre de la mort.»
Ce jour est donc Jour de Pâques, Jour de la Résurrection. Le jour où la mort a été définitivement vaincue par la vie. Et nous croyons, nous, que le Christ est vraiment ressuscité car lui qui est la vie a vaincu la mort pour toujours. Il n’a pas fait semblant de mourir et il n’a pas aussi fait semblant de ressusciter. Il est mort et ressuscité, un point un trait. Car, si nous confessons que Jésus n’est pas ressuscité, on ne peut croire en lui comme Sauveur : on peut seulement, au plus, le vénérer comme simple maître. On peut l’évoquer mais non l’invoquer. On peut parler de lui mais non lui parler. On peut se le rappeler mais non l’écouter. Si le Christ n’est pas ressuscité, ce sont les chrétiens qui le font vivre, et non lui qui les fait vivre.
La Pâques, c’est le passage : passage de l’esclavage à la liberté, de la domination à la libération, de la mort à la vie. En tant que telle, la célébration de la Pâques nous intéresse forcément en premier lieu, Africains et Ivoiriens que nous sommes. Pourquoi ?
D’abord, souvenons-nous du cynique esclavage égyptien imposé aux Israéliens en Egypte. Rappelons-nous la misère, le mépris, la haine, la domination et l’extermination qu’a subis ce peuple sur ordre du très célèbre Pharaon. Eh bien ! Malheureusement, aujourd’hui, les Israéliens, il y en a encore et les Pharaons pullulent dans le monde entier, toujours prêts à soumettre à l’esclavage et à la domination les peuples faibles, pauvres, les peuples sans. Ils ont crée des blocs à partir desquels ils règnent en maîtres criminels sur le monde, avec mépris, haine, domination, semant partout où ils passent misère, abomination et extermination des pauvres qui sont aujourd’hui les nouveaux Israéliens. Comme Pharaon et son clan d’autrefois, ces nouveaux Pharaons insatiables ne veulent rien laisser, ils veulent tout piller et tout prendre, ne laissant aux pauvres que guerres, misères et coups d’Etat. Tout y passe, esclavage, colonisation et néo-colonisation et les plus puissants méprisent toujours les plus faibles. Quelle haine et quelle histoire !
Ensuite, souvenons-nous aussi qu’au plus fort de sa souffrance, de son drame et de son traumatisme, Israël a crié vers le Seigneur et le Seigneur a entendu son cri de détresse. Relisons avec intérêt ce passage du livre de l’Exode : le Seigneur dit à Moïse : « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvées. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant le lait et le miel.» (Ex3, 7).
Ainsi, au début de la Pâques, il y a d’abord et avant tout un plan de libération de l’esclavage et de la souffrance de l’homme et des peuples et ce plan est bien orchestré par le Seigneur lui-même. C’est pourquoi on ne peut pas célébrer la Pâques du Seigneur de nos jours en évacuant cet aspect de sa libération. Au demeurant, Pâques=Libération, qu’on le veuille ou non. Et comme Dieu regarde et voit toujours la misère de son peuple et entend ses cris de détresses et de misères, chaque Pâques célébrée, surtout dans le camp des pauvres et des maltraités est la célébration même de la libération de ces pauvres. C’est aussi et surtout leur Résurrection, c’est-à-dire un peuple qui meurt à la misère pour renaître au bonheur en Dieu, un peuple qui refuse de mourir pour embrasser une vie nouvelle suscitée par le Christ, vie nouvelle en un Dieu qui sait voir la misère et la détresse de son peuple et entendre ses cris de détresse, d’angoisse et de désolation.
Telle doit être aujourd’hui encore, frères et sœurs, la Pâques que nous célébrons. C’est donc une grande fête pour nous : fête des vaincus sur leurs envahisseurs, fête de la victoire sur la défaite, fête de la liberté sur la dépendance, fête de la libération sur les nouveaux types d’esclavage, fête de la vie sur la mort, fête du vrai Dieu, le Dieu de la vie sur les faux dieux, les dieux de la mort qui ne sèment que horreur, terreurs et abominations dans le camp des pauvres et dans le monde.
C’est pourquoi, on ne peut pas célébrer cette fête de la vie, cette Pâques du Seigneur, dans le contexte actuel de notre pays sans porter un regard serein de foi sur ce qui s’y passe. Car, malheureusement encore, cette Pâques 2013, comme les dernières, se célèbre dans une situation difficile de pauvreté qui s’accroît chaque malgré les chiffres qu’on nous communique ; une situation de tristesse angoissante, de désolation et fortement stressante. L’insécurité, nous dit-on, est galopante et c’est chaque jour que nous apprenons que d’honnêtes citoyens sont abattus froidement par des personnes en armes, incontrôlables et qui ne savent que parler le langage des armes. On ne peut pas célébrer cette fête sans passer à tous ces Ivoiriens injustement emprisonnés depuis plusieurs années et pour lesquels aucune action en justice n’est entreprise. Que la raison habite leurs geôliers. Comment peut-on aussi célébrer cette fête de pâques sans faire cas de nos frères en exile, souffrant la pauvreté, la misère et la désolation ? Pensons à ces frères torturés loin des caméras et de micros. Pensons aussi à ces familles que la pauvreté malmène chaque jour à cause de politiques dont l’essentiel consiste à enrichir ceux qui sont au pouvoir et appauvrir tous les autres. Célébrons cette pâques en pensant à notre Ecole encore entrée dans la zone rouge de la turbulence. La haine habite encore les cœurs, la course au pouvoir s’est transformée en lutte armée et impitoyable dans tous les camps, personne ne veut lâcher du lest, personne ne veut faire la passe à l’autre. La réconciliation est prise en otage. Pendant ce temps tout le monde souffre, ou du moins, les pauvres continuent de s’appauvrir, tandis que les riches (anciens ou nouveaux) et tous ceux qui profitent des hommes au pouvoir surtout des anciens chefs de guerre devenus responsables s’engraissent davantage, vautrés dans leur salon feutré, roulant dans des voitures 4x4, tous vitres teintés, faisant ici et là des dons pour expier certainement leurs fautes. Le pays est pris en otage par des assoiffés de pouvoir qui mènent tout le peuple dans leur bateau. Les intérêts des plus forts sont mis en avant, au mépris du peuple et du pays. On ne s’intéresse à notre pays, aujourd’hui que pour son cacao, son pétrole et ses autres matières premières. Malgré tout, nous sommes officiellement reconnus pays pauvre très endetté. Et nous en sommes fiers. L’argent et le pouvoir ont aveuglé ceux qui aspirent diriger ce pays et ceux qui le dirigent déjà. L’égoïsme a envahi les cœurs, la haine a fermé la foi, le mépris du peuple a fermé les cœurs contre la raison et le bon sens. Dans tout ce boucan démocratique pour accéder au pouvoir même par les bombes et s’y installer définitivement, le peuple continue son chemin de croix malgré lui et demeure donc impuissant face aux nouveaux Pharaons de tout bord qui déploient d’énormes moyens pour le maintenir dans cet état en vue de l’exploiter davantage.
Frères et sœurs, aujourd’hui où nous célébrons notre Pâques, c'est-à-dire notre libération, le message de paix à porter et à proclamer haut et fort face à cette situation de misères, de déchéances et de catastrophes dans notre pays et causés par des insatiables du pouvoir, est de dire à nos « leaders » que leurs propositions ne nous intéressent point, que leurs ambitions ne sont point les nôtres, que leur combat n’est pas le nôtre car il est trop violent et égoïste et que leur comédie ne nous intéresse plus. Tout ce qui nous intéresse, c’est qu’ils soient des leaders de paix et non des leaders armés, des chefs de bandes qui lorgnent le fauteuil présidentiel et donc prêts à se tirer dessus dès la première occasion. Le peuple a faim et veut manger dignement son pain à la sueur de son front, dans la tranquillité et la paix que lui donne le Christ ressuscité. L’argent du peuple ne circule pas. Il est injustement concentré entre les mains d’une minorité qui le dilapide et fait le boucan dans le monde entier. Chantons haut et fort à leurs oreilles que le Christ nous a libérés et donc nous ne sommes plus leurs sujets et objets d’ambition illégitime. Nous sommes libres dans le Christ, parce que nous sommes morts et ressuscités avec lui et donc que nos chers leaders avec leurs maîtres de l’extérieur nous laissent survivre. Nous voulons manger et boire dans la paix. Nous ne voulons pas mourir. Nous avons droit à la vie. Nous voulons vivre car notre foi nous intime l’ordre de vivre. Nous voulons passer de l’abîme de la mort dans lequel ils nous ont plongés à la lumière de la vie que le Christ nous communique aujourd’hui même.
Tel est, frères et sœurs, le message de Pâques à communiquer partout dans notre pays, tout en priant pour que la raison habite chacun de nous. Mettons-nous ensemble pour construire un pays d’amour et de paix. La haine et la vengeance ne suscitent que d’autres haines et vengeances. Comprenons que le plus fort d’aujourd’hui ne le restera pas éternellement. Alors, chers ivoiriens, chers chrétiens et fidèles de sainte Marie de Zuénoula, le message de la pâques, c’est la vie qui passe par l’amour, le pardon et la vraie réconciliation.
Que le Christ, mort et ressuscité, ouvre nos cœurs et nos esprits à la raison, à l’amour, au partage, à la libération et surtout à la foi.