La mort de Jésus, une affaire de méchanceté et de sorcellerie des hommes
Avec la passion du Christ, telle qu’elle s’est déroulée et que nous venons de relire, nous sommes entièrement et de plain-pied au cœur de la méchanceté et de la sorcellerie de l’homme. Ce Christ que tout le monde a vu en train de faire du bien aux hommes en les nourrissant, les guérissant et les enseignant, ce Christ dont des foules ont chanté les louanges et la gloire, ont admiré la prodigalité et la générosité, le voilà aux prises avec l’homme, subissant cruellement sa haine et son mépris.
Dans la passion de Jésus, arrêtons-nous un instant sur la foule qui le livre à Pilate. C’est une foule immense, bigarrée, surexcitée, surchauffée qui veut en finir une bonne fois pour toutes avec celui qui prétend être Dieu, cet imposteur. Dans cette foule, nous pouvons compter aussi bien ceux qui n’avaient jamais rencontré Jésus que ceux qui ont profité de ses gestes d’amour et de générosité. Ainsi, ne soyons point surpris de pouvoir voir dans cette foule pleine de haine, la femme souffrant d’hémorragie et guérie par Jésus, la fillette rappelée à la vie par Jésus, les deux aveugles qui avaient crié à Jésus «Aie pitié de nous, Fils de David » et que Jésus a guéris, le possédé muet guéri par Jésus et qui a suscité l’émerveillement de la foule, l’homme à la main paralysée guéri par Jésus le jour du sabbat, une bonne partie des cinq mille hommes nourris par Jésus, le sourd-muet guéri par Jésus en mettant les doigts dans ses oreilles et en crachant et touchant sa langue, l’aveugle Bartimée, le fils de Timée, l’aveugle de Jéricho que le Christ a sorti des ténèbres du bord de la route pour le placer sur la route ; dans cette foule haineuse, on peut y trouver la fille de Jaïros à qui Jésus a redonné la vie.
Nous pouvons constater que de la mort de Jésus, ne sont pas comptables seulement et uniquement les scribes et les pharisiens, Judas et Pilate. C’est un vaste complot ourdi par tous y compris son entourage le plus immédiat qui a profité directement de ses miracles et de ses largesses. Tous, sans exception, ont taclé Jésus. Ils l’ont poignardé dans le dos. Toute cette bande joyeuse suivait Jésus. Elle l’acclamait et l’exaltait avec pagnes, rameaux, branches, cors et grelots. Elle chantait et glorifiait même ses louanges et actions d’éclats. A la fin, cette bande joyeuse s’est transformée et s’est transmuée en bande haineuse, méprisante et meurtrière. Elle a transformé ses rameaux, ses pagnes, ses branches, ses cors et grelots en haches, gourdins, poignards, sifflets, canons, kalaches et croix contre Jésus.
Comment comprendre cela ? L’entrée triomphale s’est transformée en cauchemar, en misère et en calvaire pour Jésus. C’est une véritable affaire de jalousie et de sorcellerie de l’homme.
Tous étaient jaloux de lui : jaloux de sa divinité (Il était le fils de Dieu et il ne le cachait pas), ils étaient jaloux de son courage et de ses vérités (Il disait la vérité partout et à tous, sans peur), jaloux de ses miracles (Il redonnait la vie même à des morts) et jaloux de sa liberté (Il n’était pas esclave de la loi et refusait de se soumettre aux volontés des scribes, pharisiens et roi de son époque). La méchanceté et la jalousie des hommes les ont poussés à commettre ce crime crapuleux : tuer Dieu ! Or donc, depuis longtemps l’homme est jaloux et méchant. Dieu lui-même a fait l’expérience de la méchanceté, de la jalousie et de la cruauté de l’homme. Dieu a payé cash ce que l’homme a de plus vilain et de plus laid en lui à savoir la jalousie et la méchanceté qui se transforment en cruauté et en meurtre.
Malheureusement, malgré le temps, l’homme demeure méchant, jaloux, cruel et criminel. Ces vilains sentiments continuent d’envahir et de posséder le cœur et l’esprit de l’homme. Ah qu’est-ce que l’homme est foncièrement méchant, jaloux et criminel ! Il ne nous a pas suffi de tuer Dieu. Il faut que maintenant nous exterminions le genre humain, que nous prenions en partie l’homme. Nous souffrons nous-mêmes de nos propres méchancetés, jalousie et cruauté. Car, comme le Christ, la même bouche qui crie vive le roi de l’univers est cette même bouche qui scande : A bas un tel ! A mort un tel! Tuez un tel ! Enterrez-le ! La même bouche qui crie aujourd’hui M. le Président vous êtes notre Dieu, est la même bouche qui criera demain dégagez M. le président ! Mais entre nous, pourquoi faut-il que nous soyons jaloux, méchants vis-à-vis des uns et des autres ? Pourquoi faut-il que nous soyons là à nous torpiller, à nous épier et à se traquer sans cesse ? En quoi la vie de l’autre nous intéresse tant pour que nous le livrions à la vindicte populaire ? Que nous soyons à ses trousses ? Où que nous racontions des méchancetés sur lui ? Pourquoi ne pas faire l’effort de s’aimer pendant qu’il est encore temps ?
De toute part l’homme subit douloureusement la méchanceté et la jalousie des hommes. L’homme n’aime pas l’homme. (Les jeunes disent les gens n’aiment pas les gens). Et comme le Christ, l’homme fait amèrement l’expérience des propos du psalmiste « Si l’insulte me venait d’un ennemi, je pourrais l’endurer ; si mon rival s’élevait contre moi, je pourrais me dérober. Mais toi, un homme de mon rang, mon familier, mon intime ! Que notre entente était bonne quand nous allions d’un même pas dans la maison de Dieu ! » (Ps 54, 13-15). Comme quoi, frères et sœurs, l’ennemi n’est jamais loin. Il est toujours proche, tapi dans l’ombre. Tu crois qu’il est ton frère, ta sœur. Tu l’appelles même ainsi. Mais c’est un ennemi juré, impitoyable, caché et masqué qui n’osera jamais se dévoiler ou se révéler. Quand il te voit, son visage est souriant et rayonnant. L’éclat de ses dents devient plus vif et davantage attrayant et séduisant. Il transpire même pour toi à grosses gouttes pour te rendre un service même inattendu. Mais quand tu n’es pas là, il te plante un poignard dans le dos, sèchement et lâchement, signe de sa lâcheté. Comme tous les lâches, il agit dans l’ombre. Il peut être ton propre frère, ton chef d’état-major, le chef de l’armée. Il peut-être aussi ton gardien, ton chauffeur, ton cuisinier ou ta cuisinière, ta servante. Il peut être celui que tu crois être ton meilleur ami ou même ta meilleure moitié. Il vaut mieux peut-être avoir et aimer ses ennemis que de chercher des amis. Avec l’ennemi, nous savons au moins qui nous sommes car il nous le dit en toute sincérité et en face de nous même s’il le fait méchamment. Mais avec celui qui prétend être notre ami, nous ne saurions jamais rien de nous. Car l’ami n’est pas courageux pour nous dire ce que nous sommes. Comme Judas, il nous épie et nous livre à nos bourreaux dès qu’il en a la possibilité. L’ami est toujours celui qui nous livre. C’est lui qui dit des méchancetés sur nous. C’est celui qui raconte tout sur celui dont il prétend être l’ami. L’ami est le plus méchant des hommes. L’ami n’aime pas l’ami.
On peut essayer de comprendre la méchanceté de l’être humain en général. Mais il nous sera toujours difficile de comprendre la méchanceté et la jalousie du chrétien. Comment le chrétien peut-il haïr jusqu’à mourir son prochain alors que le message du Christ qu’il lit et écoute est un message d’amour de ce prochain ? Comment le chrétien peut-il épier, torpiller, diffamer, salir et traquer méchamment et sans aucune preuve son prochain ? Qui est sans péché pour que la vie des autres l’intéresse tant ? Rappelons-nous la scène de la femme adultère de l’Evangile de dimanche dernier. « Que celui qui est sans péché lui lance la première pierre ». Mais il ne s’est trouvé personne pour lui lancer cette première pierre. Au contraire, nous dit saint Jean, ils s’en sont allés, presque en fuyant, à commencer par les plus vieux.
Tous pécheurs que nous sommes, mettons-nous ensemble pour nous convertir. Aidons l’autre à sortir de son péché si nous sommes convaincus qu’il a péché. Ce sera la meilleure façon de l’aider. Soyons indulgents et bienveillants, compréhensifs et tolérants, charitables et miséricordieux vis-à-vis de l’autre. Ne jugeons pas et ne condamnons pas trop vite et trop facilement, sans preuves, avec seulement pour souci de nuire au prochain, de lui faire mal.
Si dans notre pays, nos dirigeants comprennent cela, notre processus de réconciliation ne sera plus un simple slogan pour gouverner tranquillement et laisser le temps aux autres de piller sans cesse nos richesses. Mais nous avons fait de notre processus de réconciliation un panier à crabes et un fourre-tout. Chacun y trouve à manger et à boire. Nous emprisonnons nos adversaires politiques ? C’est en vue de la réconciliation. Nous traquons ceux qui ne sont pas du même camp politique que nous ? C’est pour la réconciliation. Nos adversaires politiques sont en prison et torturés? C’est aussi pour la réconciliation. On promeut et protège ceux de notre camp qui ont eux aussi volé, pillé et tué ? C’est aussi pour la réconciliation. On écarte d’autres partis politiques des élections à venir ? C’est toujours en vue de la réconciliation. On coupe le salaire des fonctionnaires parce qu’ils ont grevé ? C’est normal, car comme dit la chanson, si tu n’as pas travaillé tu n’as pas droit au salaire ; mais dans notre cas, c’est surtout et toujours pour le processus de la réconciliation que ce salaire est coupé. Si la vie est de plus en plus chère et que le panier de la ménagère s’est transformé en sachet, ça aussi c’est pour la réconciliation. Notre processus de réconciliation est devenu un immense supermarché où chacun y vient faire sans difficultés ses emplettes à peu de frais.
Je propose, frères et sœurs, que pendant cette semaine sainte que nous commençons aujourd’hui même, chacun fasse l’effort de rentrer en soi-même pour voir ce qu’il est en vérité. Donc pendant cette semaine sainte, que personne ne dise rien sur la vie des autres, mais plutôt qu’il dise tout sur lui-même. Ce sera notre dernier effort de carême pour cette année. Je décrète donc un embargo total sur les critiques acerbes et méchantes déversées sur la vie des autres. Retournons ces critiques contre nous-mêmes en vue seulement de notre propre conversion. La seule et unique démarche que nous devons entreprendre envers l’autre pendant cette semaine sainte doit être une démarche d’amour et de paix. Si ce n’est pas cela, il faut obligatoirement s’abstenir de tout propos contre l’autre, il faut absolument se taire sur la vie de l’autre. Dieu nous en revaudra. Le Christ notre Seigneur nous paiera au centuple.
Demandons-lui, pour ce temps de carême qui reste d’être des modèles en paroles et en amour.